La transmission du savoir a toujours impliqué un enrichissement. Celui qui apprend et éduque ne s’appauvrit pas : son patrimoine intellectuel ne diminue pas par la transmission mais permet aux générations futures de faire perdurer ses connaissances, de les enrichir et de les transmettre à leur tour.
Transmettre, alors, n’est pas mourir, c’est au contraire une manière d’échapper à une mort de l’âme, de s’inscrire dans la postérité. Certains savoirs et techniques impliquent néanmoins la transmission parallèle d’un outil, d’un bien qui permet la mise en pratique de la connaissance. Si la transmission du savoir a toujours été valorisée, en témoigne le prestige des professeurs et des mentors, la transmission du bien et de l’outil est, quant à elle, plus contestée.En effet, si l’outil est unique, non reproductible à l’infini, alors son unicité ne permettra qu’à un seul individu d’exploiter la connaissance.
Dans l’artisanat, il est d’usage de choisir son successeur et de lui transmettre la connaissance de la technique mais également l’outil pour l’exploiter. Cette désignation successorale permet la pérennité, souvent familiale, du moins intuitu personae, des savoir-faire.
Nos sociétés modernes, en contestant la transmission des privilèges et en instaurant l’égalité dès la naissance, ont remis en cause la faculté de transmettre à une personne désignée. Sans en supprimer la possibilité, elles ont corrigé l’injustice par la mise en place d’impôts, destinés à redistribuer une partie de la valeur de l’outil légué arbitrairement.
Les entreprises familiales s’inscrivent au cœur de cette problématique. La transmission de la technique et du savoir faire se butte à la transmission de l’outil au sens large (titres de l’entreprise, biens immobiliers).
L’obstacle est double. Il relève d’une part de la gouvernance : dans nos sociétés, celui qui se dépossède disparaît. Son existence et sa réalité sociale existent par la propriété. Pour le chef d’entreprise, se déposséder c’est souvent disparaître de l’organigramme. Par ailleurs, les aspects juridiques et fiscaux de la transmission impliqueront de tels montants, que la transmission entraînera potentiellement un appauvrissement.
C’est là tout le paradoxe : alors que la transmission devrait être perçue comme l’unique moyen de faire perdurer l’outil et le savoir, de s’inscrire dans la postérité sans s’appauvrir, elle est aujourd’hui vécue comme une disparition, qui plus est, confiscatoire.
Il existe pourtant des solutions de gouvernance et des manières de surpasser l’obstacle juridique et fiscal. Des outils existent pour permettre la transmission de l’outil et assurer la pérennité de l’entreprise à un moindre coût, sans appauvrissement et sans disparition du donateur comme homme clef de l’entreprise. Mais l’efficacité de ces outils implique une chose : l’anticipation.
C’est alors que ressurgit l’obstacle psychologique et la peur de la disparition dans la dépossession. Transmettre n’est pas mourir. Anticiper sa transmission l’est encore moins, plus l’anticipation est grande moins le danger de disparition est présent. Valoriser la transmission, se valoriser par le bénéfice de l’ancienneté et de la connaissance, et non par la détention de la propriété, apparaissent alors comme les clefs d’une transmission réussie et de la pérennité des entreprises familiales.